Le Maître du Haut-Chateau de Philip K. Dick en série.

Le maître du haut-chateau : entre uchronie et mise en abîme.

J’ai la chance d’avoir un exemplaire du « Maitre du Haut Château » de Philip K. Dick en première édition.  Je crois l’avoir lu qu’une fois, ce qui est assez peu compte tenu de mon obsession pour les livres de Philip K. Dick

C’est une grande joie de voir le projet de projet de Ridley Scott à l’origine pour la BBC, et finalement avec AMAZON STUDIOS, prendre vie et devenir une série de quatre épisodes qui auront probablement un succès modeste c’est à dire exactement inversement proportionnel à la qualité et la richesse du livre.

C’est mon ami Axel Dreyfus, qui m’a prévenu, je n’étais pas au courant. Nous partageons cette passion avec Pierre Bellanger le patron de SkyRock.

Il y a quelques années, dans un Interview au Figaro, Isa Dick, la fille de Philip K. Dick, nous avait averti que naissait ce projet de produire une adaptation de ce livre-culte et d’autres encore à venir dont l’immense « Ubik » par Gondry.

Nous sommes en train de travailler sur une adaptation du Maître du haut château pour la télévision sous la forme de séries pour la BBC avec la société de production de Ridley Scott. C’est très intéressant de travailler sur un nouveau média et d’avoir à travers celui-ci plus de temps à l’écran pour raconter l’histoire de manière plus complète. Nous produisons également une adaptation d’Ubik avec les réalisateurs Michel Gondry et Steve Zaillian.

J’ai donc vu le premier épisode hier soir. La photographie, les décors de ce pilote sont parfaits. Une ambiance que ne renierait pas Dick lui même, tant nous plongeons dans une atmosphère étrange et inquiétante.

265-Man-high-castleDe quoi parle ce livre étrange, bardé de cette couverture qui montre une carte des Etats-Unis barré de la croix gamée nazie et du soleil levant  de l’empire nippon?

Vous l’avez compris, il s’agit d’une uchronie.  Une fiction dans un temps qui n’a pas existé.

Dans le maître du haut chateau, Francklin Roosevelt est assassiné en Miami en 1933. Les Etats-Unis n’arrivent pas à sortir de la grande dépression et restent figés dans une neutralité terrible face à Hiter. Le Royaume-Uni sans leur allié d’outre-atlantique est conquis. L’histoire bascule. En 1947 a lieu la capitulation des alliés devant les forces de l’axe.  Les Etats-Unis sont coupés en deux les nazis  à l’est, les japonais à l’ouest.

Après la guerre, la vie reprend son cours dans les régions occupées par les japonais et les allemands.  Malgré les horreurs perpétrées, la population semble vivre une vie tranquille, alors qu’au sommet les nazis et les japonais se crispent et sont à l’aube d’une nouvelle guerre. Il s’agit d’une sorte de guerre froide entre deux camps aux idéologies différentes.

Les populations prennent l’habitude d’utiliser le Yi-King, l’oracle chinois, basé sur le livre des transformation, dont la rédaction remonte à la nuit des temps. On tire l’oracle avec des pièces ou avec des petites baguettes de longueurs différentes.

Yi-King ou livre des transformations
Yi-King ou livre des transformations

Dans la pratique, c’est un tirage aléatoire qui permet de se référer à une des sagesses que l’on trouve dans le livre, et qui par la méditation nous apporte une réponse à nos questions.

Philip K. Dick est un adepte dans l’Amérique de 1962, année où le livre parait.

« Tout cela lié à ce choix de baguettes ayant pour objet de trouver un précepte de sagesse convenant à la situation dans un livre dont la rédaction avait été commencée trois mille ans avant Jésus-Christ. »  Le maître du haut chateau page 20

Dans ce nouveau monde, des clandestins diffusent sous le manteau un livre étrange : « Le poids de la sauterelle ».

Son auteur est, selon la légende, un homme caché dans un haut-château, qui raconte dans les pages son livre,  un monde où les allemands et les japonais ont capitulé devant les forces alliées en 1945. Ce livre décrit une fiction qui ressemble beaucoup à la réalité que le lecteur connait et expérimente.  Notre réalité de lecteur.

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Sans vouloir raconter la fin, l’héroïne va découvrir que « Le poids la Sauterelle » est écrit par l’oracle chinois. C’est à dire par un système aléatoire qui va raconter une nouvelle réalité.

Quand l’héroïne du livre, Juliana,  demandera à l’oracle chinois de lui donner le sens de ce mystère. Elle demandera « pourquoi? ».  L’oracle répondra « que c’est la vérité ».

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C’est une mise en abîme qui fonctionne comme ceci :

  1. Vous lisez un livre où Dick décrit une fiction : un monde alternatif dans un temps qui n’existe pas.
  2. Dans ce monde, vous découvrez  l’histoire d’un auteur ‘le maitre’ qui écrit une fiction « la sauterelle pesante » qui ressemble à s’y méprendre à votre réalité.
  3. Mais l’auteur, « le maitre »,  n’est en fait qu’un intermédiaire,  il utilise un autre livre, le Yi-King pour construire cette histoire.  C’est en fait ce troisième livre qui vous a raconté cette fiction.

Et là je vous ai perdu.

Ou plutôt,  Philip K. Dick vous a perdu.

Le livre décrit un livre écrit par un livre. (A mon avis, trop de drogue en 62) 

Mais, Emmanuel Carrère, dans son livre « Je suis vivant et vous êtes morts », une biographie romancée de Dick paru chez Seuil, nous rajoute un quatrième niveau de complexité. Il se pose la question de comment DIck a écrit ce livre?  Selon Carrère, Dick, s’est fait aidé du précieux outil qu’il connaissait bien et dont il parle dans son livre : le Yi-King. Au début de chaque chapitre, Dick lance les pièces, consulte son Yi-King, médite, et continue son récit.

Et là bam! Quatrième niveau. C’est un livre (le Yi-King) qui écrit un livre (Le Maitre du HC) qui raconte l’histoire d’un livre (la Sauterelle Pesante) écrit par un livre (le Yi-King).

Puissant non?

J’en reviens au titre du livre : « Le Poids de la Sauterelle », quelle hypothèse peut on formuler concernant le choix de ce titre assez saugrenu?

Dick connait la bible, il la connait même très bien. Il le prouvera dans beaucoup de ses livres et sa folie le poussera même à penser qu’il vit dans certaines pages de la Bible, mais c’est une autre histoire on y reviendra.

Une recherche rapide montre qu’il a au moins lu ce passage de l’Ecclésiaste qui évoque dans le verset cité, les affres de la vieillesse:

Eclesiaste 12:7 Et que l’on craindra ce qui est élevé, qu’on aura des terreurs en marchant, que l’amandier fleurira, que la sauterelle deviendra pesante, et que l’appétit manquera; car l’homme s’en va vers sa demeure éternelle, et ceux qui pleurent feront le tour des rues;

La vieillesse où chaque pente est un défi, où chaque pas se fait dans la crainte de tomber. Les cheveux sont devenus tout blanc (la couleur de l’amandier qui fleurit) et que par la sauterelle qui symbolise la légèreté de la jeunesse devient lourde. L’appétit manque. Pas si facile de trouver la connexion entre les deux concepts : le poids de la vieillesse et notre uchronie nazie-nipponne.

Mais voici mon pari : il a tiré au hasard. Il a utilisé sa Bible comme on utilise le Yi-King.  Au hasard. Comme l’a fait le Maître du Haut Château.

Totalement perdu dans ce qui est la réalité ce qu’il ne l’est pas, le lecteur finit pas douter que sa propre vie ne soit pas un simulacre. Et nous voici dans le thème préféré de Dick : « Qu’est ce que la réalité? ».

A l’heure de ce monde virtuel « profond  » que nous construisons grâce au numérique, dont je parlais dans mon post sur le livre de Pierre Calmard, ‘l’homme à venir‘,  se posera de façon très pressante la question de la réalité. Cette réalité dont l’héroïne comprend qu’elle soit insaisissable et pourtant fatale.

                  « La vérité, pensa-t-elle. Aussi terrible que la mort. Mais plus difficile à trouver »  Le Maitre du Haut Chateau. Philippe K. Dick 1962. 

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