Il y a-t-il une place pour la technocritique? On peut sincèrement s’interroger en lisant l’article de Evgeny Morozov ‘The Taming of Tech Criticism’.
Ce penseur de l’évolution des technologies a toujours été un partisan d’un droit à la critique et surtout d’une prise de recul vis à vis de la puissante médiatisation des évolutions proposées par la Sillicon Valley comme un tout. Une sorte de anti-Rifkin disait l’express en 2014.
A première vue, c’est un peu l’anti Rifkin. Pendant que l’économiste fait son tour d’Europe pour développer sa théorie plutôt optimiste sur la fin prochaine du capitalisme grâce à la nouvelle économie du coût marginal zéro, née d’internet, Evgeny Morozov met en garde contre l’idée qu’internet est la solution à tous les problèmes modernes. Il dénonce ce qu’il appelle le « solutionnisme », un concept qui consiste à vouloir tout améliorer grâce à internet, en traitant des symptômes sans plus jamais chercher à en comprendre la complexité des causes. Dans sa vision, pessimiste mais pas technophobe, la Silicon Valley n’est pas une solution. Elle pose un problème de fond.
Dans cet article que commentait la presse, il récidive et cite le manque de vision politique non pas comme une pièce manquante manque endogène à l’évolution des technologie, mais plutôt un manque de contexte qui rend la critique de l’évolution des technologies totalement impossible.
En lisant l’article, j’ai trouvé que Morozov se résignait, comme défait par une vague trop forte, qu’il l’obligeait maintenant au silence. il prétend qu’au mieux on peut faire carrière comme technocritique, au pire apparaitre comme un idiot, mais certainement pas changer le monde.
Son propos est de montrer que lorsque l’on veut montrer les conséquences de l’évolution des technologies, il et compliqué de le faire sans en regarder toutes les conséquences économiques et sociétales. En creux, il prétend que l’on ne peut pas critiquer l’évolution des technologies sans savoir qu’elle est notre projet social et politique.
…The technology critic might begin most logically by acknowledging defeat. Changing public attitudes toward technology—at a time when radical political projects that technology could abet are missing—is pointless.
Hubert Guillaud dans Internet-Actu nous en fait une analyse très fine dans son article : « Avons nous raison d’être technocritiques »
Mais Morozov ne semble plus y croire. « Aujourd’hui, il est évident pour moi que la critique de la technologie, si elle n’est pas couplée à un projet de transformation social radical, n’atteint pas son but ». Il est plus simple de discuter sans fin de notre dépendance excessive à nos téléphones et à leurs applications. Comment pouvons-nous être si aveugles aux effets profondément aliénants de la technologie moderne ?, répètent les critiques de la technologie. Leurs réponses qui visent à nous culpabiliser se révèlent être insupportablement moralisatrices et oublient de regarder les raisons qui nous poussent à utiliser la technologie, c’est-à-dire les rapports économiques, sociaux et politiques à l’oeuvre. En fait, l’édifice même de la critique de la technologie repose sur la réticence de cette critique à reconnaître que chaque gadget ou application n’est qu’un élément d’une matrice plus large de relations sociales, culturelles, économiques et politiques. Pour trop de critiques, nos problèmes ne viennent que de mauvaises idées que nous pouvons avoir sur la technologie, jamais des erreurs de notre organisation sociale et politique. Si tout le monde critique les gadgets, qui s’intéresse aux conceptions politiques et économiques qu’ils recouvrent ?
Hubert Guillaud fait référence aussi à l’excellent dossier de Usbeck et Rica sur les « ennemis de la machine » qui rassemble les réflexions avancées sur le sujet. On y trouve d’ailleurs une analyse tout à fait juste sur le rôle du culte des technologies et comment les technocritiques se pose la question du « sacré de la technologie »!
Décrits par l’éditeur libertaire comme des « technolâtres », des « technofanatiques » et des « numérisateurs », les géants de la Silicon Valley, start-upers, journalistes high-tech et autres entrepreneurs des TIC sont ainsi dépeints comme les apôtres de cette « idéologie technologiste », dont les disciples dociles seraient les masses de consommateurs assoiffés de confort, de sécurité et de divertissement.
Pour l’heure, ceci fait écho avec l’ouvrage de Andrew McAffee et Erik Brynjolfsson (MIT) sur l’évolution des technologies et avenir de notre économie.
Je viens de le lire, et je me dis que cette réflexion sur les impacts globaux reste la seule façon de prendre du recul sur ces technologies (IA ROBOTIQUE etc…) pour éviter de tomber dans une vue un peu courte qui consiste à simplement valider que nous gagnions un peu de confort à court terme.
Les deux auteurs abordent avec précision les sujets sur un volet économique et ont pris plusieurs fois la parole sur ces thèmes. C’est passionnant et pour tout dire je ne me rendais compte qu’autant de gens écrivaient sur ces sujets ( surtout sans être suffisamment lus )

In recent years, Google’s autonomous cars have logged thousands of miles on American highways and IBM’s Watson trounced the best human Jeopardy! players. Digital technologies—with hardware, software, and networks at their core—will in the near future diagnose diseases more accurately than doctors can, apply enormous data sets to transform retailing, and accomplish many tasks once considered uniquely human.
In The Second Machine Age MIT’s Erik Brynjolfsson and Andrew McAfee—two thinkers at the forefront of their field— make the case that we should be optimistic about the future because technological progress, ‘the only free lunch that economists believe in,’ is accelerating quickly past our intuitions and expectations. But we should also be mindful of our values and our choices: as technology races ahead, it may leave a lot of people, organizations and institutions behind.
This is the book that explains the new age we’re quickly heading into and shows why we should be optimistic about it, yet also discusses the challenges it will bring.
Peut on rester critiques de l’évolution des technologies ou faut il se résigner?