
Comme lors d’une dizaine de précédents événements dans la courte vie de Bitcoin, les médias dans un bel élan moutonnier et parfaitement synchronisé, titrent sur sa mort annoncée. Pourtant je suis convaincu comme beaucoup que bitcoin vit un moment très particulier, une sorte de point d’inflexion qui fait entrer sa technologie et ses principes fondateurs dans beaucoup d’usages. Alors est-ce juste le déclin tant annoncé ou une nouvelle crise de croissance?
L’élément déclencheur cette fois-ci est le départ de la communauté de Mike Hearn, un des développeurs de Bitcoin Core – logiciel ouvert qui constitue le réseau Bitcoin par son déploiement sur des milliers d’ordinateurs. Le 14 janvier 2016 dans son billet de blog intitulé « The resolution of bitcoin experiment « , Mike Hearn annonce qu’il ne croit plus à l’expérience Bitcoin, se retire de ce projet et vend tous ses bitcoins.
Déjà dans cette vidéo de l’excellent pod/videocast Epicenterbitcoin par mes deux amis Brian Fabian Crain & Sébastien Couture, Mike Hearn présentait déjà un certains nombres de faiblesses qu’il fallait adresser d’une façon ou d’une autre )
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Les débats sur les choix stratégique d’une organisation ouverte comme Bitcoin ont constamment lieu sur la place publique, caractéristique partagée par tous les logiciels open source et les organisations décentralisées comme Wikipedia. Une telle transparence peut effrayer les chroniqueurs habitués aux grandes entreprises, totalement opaques quant à leur processus de décisions stratégiques. Au sein de l’organisation Bitcoin, le débat a lieu sur les forums, à travers les billets de blogs et sous forme de prises de parole des développeurs. Les portes claquent, le ton monte, et il faut pourtant trouver des solutions pour aller de l’avant.
Que dit Mike Hearn dans son billet ?
La monnaie décentralisée et le système de transaction associé fonctionnent sur la base d’un livre ouvert qui enregistre des listes de transactions, appelées blocks, chainées entre elles pour éviter d’être manipulées, d’où le nom de la « blockchain ». Les « blocks » produits toutes les dix minutes ont une taille maximale de 1 méga-octet. Malheureusement, pendant certaines heures de haute activité ces blocks ont atteint des niveaux proches de cette taille maximale.
Mike Hearn explique qu’il suffirait donc de changer la taille de ces blocs; changement rendu impossible la principale force et faiblesse de l’organisation ouverte : sa gouvernance.

Plusieurs parties prenantes vont devoir s’engager dans un processus très compliqué pour faire cette petite modification d’un simple paramètre de l’algorithme qui régit la monnaie décentralisée.
Les développeurs tout d’abord. Ils vont devoir se mettre d’accord pour modifier le logiciel ouvert Bitcoin Core qui permet de vérifier, signer et archiver les transactions. Ceci ne semble pas être une mince affaire puisque chaque développeur pèse le pour et le contre en fonction de la performance future du système.
Les mineurs ensuite. Ces derniers sont les propriétaires des ordinateurs qui font tourner Bitcoin Core qui permet d’opérer le réseau de transactions Bitcoin. Ils sont rémunérés avec la valeur qui transite dans le réseau: des bitcoins. Aujourd’hui cette valeur s’échange aux alentours des 400 dollars par bitcoin. Les mineurs craignent un schisme vers deux systèmes parallèles qui ferait paniquer les investisseurs et entrainerait une chute vertigineuse des cours du bitcoin, leur principale source de financement.
En langage informatique et cryptomonétaire un schisme s’appelle un « fork ».
Une partie des mineurs, peut-être majoritaire, opère depuis la Chine où les contraintes de réseau les obligent à ne pas vouloir augmenter la taille des blocks. Il s’agirait en effet pour les mineurs chinois de laisser évoluer le système Bitcoin vers une plus grande consommation de bande passante, ressource rare en Chine.
(voir article : Mine de Bitcoin en chine )

Ces évolutions du logiciel nécessiteraient une plus grande connexion au réseau internet global qui entrainerait de franchir plus souvent les pare-feux de l’état chinois : chose bien plus difficile encore. Les mineurs font partie de la gouvernance globale de Bitcoin car sans eux le réseau n’existerait pas.
Les entrepreneurs enfin. Ils développent de nouveaux usages sur le réseau Bitcoin tels que de nouveaux services financiers, de nouveaux systèmes de partages, de prédictions, de transferts de valeur ou d’élections. Ces entrepreneurs qui viennent de recevoir quelques centaines de millions de dollars depuis 2014 de financement en capital risque aux Etats Unis, veulent avant tout fournir de nouvelles opportunités en résolvant les douleurs de leurs clients. Ils veulent certes un réseau sûr, indépendant, autonome et peu cher, mais ils sont avant tout prêts à faire des concessions fortes s’éloignant ainsi de l’idéal des développeurs afin de mieux servir leurs clients.
Une gouvernance du bitcoin en panne alors que le nombre de projets explosent.
Nous sommes ici en présence de la difficile diplomatie de Bitcoin entre développeurs idéalistes, mineurs avides et entrepreneurs pragmatiques.

Pourtant l’année 2015 a été fertile pour Bitcoin.
On a pu observer une explosion des initiatives menées par les banques, les organisations financières ou de nouveaux entrepreneurs ( voir article : Base de données pour les investissements dans la blockchain )
Je ne citerai que trois exemples parmi des milliers d’expérimentations menées partout dans le monde.
- Plus de vingt-cinq banques mondiales ont décidé de se lancer dans le projet R3, une sorte de blockchain propriétaire dont les nœuds ne seront plus des mineurs indépendants mais des banques. UBS, Credit Suisse, Barclays, Société Générale font partie de ce projet qui devrait leur permettre de profiter des technologies de Bitcoin à travers un système plus approprié à leurs contraintes réglementaires et de conformité. Il s’agit peut-être d’une illustration parfaite du débat « blockchain good, bitcoin bad », en sachant que l’un ne peut pas exister sans l’autre. Le bitcoin est tout de même la monnaie de récompense de ceux qui entretiennent le réseau de vérification des transactions. Mais pour les banques, soutenir une nouvelle monnaie, décentralisée de surcroît, peut apparaitre comme une hérésie face au régulateur et aux banques centrales.
- Visa et Docusign ont proposé un projet novateur pour l’acquisition de voitures par les consommateurs leur permettant de l’acheter et l’assurer en quelques secondes sans signature physique de documentations. La voiture aura une identité et un portefeuille dans la « blockchain ».
- Arcade City est une nouvelle application concurrente de Uber, développée par un ancien chauffeur, qui fonctionne à Portsmouth (USA). Ce dernier utilise un système utilisant la blockchain pour rémunérer, identifier les utilisateurs chauffeurs et passagers d’un réseau de taxi. Comme il l’écrit dans la presse: « Dès que l’on fera deux milliards de revenus comme Uber, ça n’ira pas dans les poches des investisseurs ou dans la hiérarchie de l’organisation, ce sera réinvesti directement dans nos chauffeurs et dans l’expérience client ». Arcade City est une sorte d’entreprise coopérative rendue possible par une monnaie et un système décentralisés.
Crise de croissance pour Bitcoin
Donc, pour moi, tout ceci ressemble à une crise de croissance. Fred Wilson, le venture capitalist, investisseur avec son fonds USV dans plusieurs startups Bitcoin, l’exprime clairement dans son dernier billet de blog « Le bitcoin est mort, vive le bitcoin! » qui concerne le départ de Mike Hearn. Il écrit :
« Il faut parfois une crise pour que l’on mette tout le monde autour de la table ».
Et les derniers événements lui donnent raison. En effet, depuis quelques semaines plusieurs solutions viennent d’être proposées pour faire évoluer l’algorithme bitcoin. Il va falloir beaucoup de discussions, de débats et un effort diplomatique hors du commun pour faire que l’organisation reste ouverte, qu’elle ne se scinde pas et que pourtant certaines évolutions technologiques soient possibles.
Je pense qu’il y aura un schisme de la technologie blockchain d’ici les les deux prochaines années. Ainsi, de nouvelles branches vont pousser à partir du tronc commun que constitue la technologie bitcoin, en espérant que ceci la renforcera.